" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


mercredi 25 juillet 2012

La création "ex-nihilo" contestable ?

« Dieu, étant intrinsèquement bon, a fabriqué l'univers en le tirant d'une matière informe » (1). Ce texte de Saint Justin est souvent repris pour prouver que la doctrine de la création « ex-nihilo » n'était pas considérée comme une vérité incontestable au IIème siècle. De même, certains auteurs font une distinction entre le « néant absolu », c'est-à-dire l'absence totale d'être, et le « néant relatif », l'être instable, ce qui n'est pas encore ce qu'il va devenir. Le néant relatif est quelque chose d'intelligible, d'incorporel. Tout porte à croire que les premiers apologistes considéraient la Création comme un aménagement par Dieu d'une réalité antérieure. 

Ils emploient aussi le terme de démiurge pour désigner l'activité divine. Or, la philosophie grecque attribue au démiurge l'acte consistant à mettre en forme la matière pré-existant au monde. Dans la conception grecque, Dieu apparaît donc comme un ouvrier qui fabrique, assemble et met en ordre un substrat éternel. L'apologiste Athénagore (v. 133-190) considère ainsi l'acte de la Création comme une mise en forme d'une matière primordiale, et donc semble présupposer l'existence de la matière, sans se poser la question de son origine (2)

Mais, le même apologiste considère cette matière comme « créé et corruptible » (3). Des apologistes affirment aussi nettement la création « ex-nihilo » comme Tatien (né vers 110/120). « La matière n'est pas sans principe, […], elle a été créée, elle est l'oeuvre d'un autre, et elle n'a pas pu être produite que par le créateur de l'univers » (4). D'où vient donc cette apparente contradiction ? Nous en voyons trois causes principales. 

D'abord, comme nous l'avions déjà invoqué (5), les apologistes sont formés dans les écoles philosophiques et sont imprégnés de la culture grecque. Les premiers apologistes chrétiens éprouveront donc des difficultés pour fixer une terminologie chrétienne distincte de celle de la philosophie grecque, ce qui explique des imprécisions et des malentendus dans leur vocabulaire. 

Puis, dans la Genèse, nous pouvons distinguer le double moment de la Création : une création « ex-nihilo » puis un ordonnancement. Le terme hébreu « tohu-bohu » employé dans la Genèse signifie bien chaos. Il est souvent traduit par « matière informe » (Gen., I, 2). Ainsi, les premiers apologistes emploient les deux termes, « créateur » et « démiurge », pour désigner l'activité de Dieu. Or ces deux termes appartiennent à deux lexiques différents, biblique et philosophique, d'où de possibles malentendus. 

Enfin, l'intention de ces premiers apologistes est de prouver aux Grecs l'existence de Dieu. Pour cela, ils s'appuient sur une pensée partagée, celle de l'harmonie du monde et de l'agencement cosmique, qui supposent un ordre divin. Ils privilégient donc le rôle « démiurgique » de Dieu. « Nous avons appris également que ce Dieu, étant intrinsèquement bon, a fabriqué l'univers en le tirant d'une matière informe » (6). Toutefois, ils précisent que la matière informe a été créée par Dieu. « La matière n'est pas sans commencement comme Dieu, et n'étant pas sans commencement, elle n'a pas un pouvoir égal à Dieu mais elle est née et n'est venue à l'être par personne d'autre, produite par le seul Demiurge universel » (7)



Plus sensible aux questions terminologiques, Saint Théophile d'Antioche expose avec limpidité la conception de la création « ex-nihilo ». « L'univers a été créé par Dieu, tiré du néant à l'existence » (8). Contrairement aux premiers apologistes, il cherche aussi et surtout à montrer la toute puissance de Dieu. Il s'attache à défendre le premier moment de la Création. Le terme de créateur sera donc privilégié. 


« Le vocabulaire utilisé révèle moins la conception que les apologistes se font de la création que l'origine de leur culture et le milieu dans lequel ils ont évolué » (9). La culture grecque a imprégné la terminologie des premiers apologistes et a influencé leur façon de penser. Nous comprenons alors les réticences de certains chrétiens à utiliser cette culture philosophique pour définir la foi. Parallèlement, leurs préoccupations ont guidé leurs pensées et donc leur terminologie. Ils cherchaient plus à exposer et à défendre la foi à partir d'un point commun avec l'adversaire : l'ordonnancement du monde. Il est alors très difficile de les comprendre en se fixant uniquement sur les termes qu'ils ont employés. Il faut surtout les entendre selon leur intention, leur vision d'ensemble et le contexte dans lequel ils évoluent. 

Avec beaucoup de rigueur et d'effort, et avec l'assistance divine, le christianisme s'est doté progressivement d'un vocabulaire claire et précis, exempt d'erreurs. C'est par ce travail qu'aujourd'hui, nous pouvons exposer notre foi d'une manière cohérente et irréprochable. Sans cette rigueur, qui pourrait nous entendre de manière sûre et certaine ? N'avons-nous pas un devoir de professer exactement et clairement notre foi ?... 




Références
Saint Justin (entre 100 et 114, entre 162 et 168), 1ère Apologie, X, 2.
Athénagore, Supplique au sujet des chrétiens, 10, 3 
Athénagore, Supplique au sujet des chrétiens, 4, 1 
Tatien, Discours aux Grecs, 5.
Émeraude Juin 2012, art. « confrontation ou assimilation ». 
Saint Justin, 1ère Apologie, X, 2. 
Tatien, Oratio ad Graecos, V, 2-3. 
Saint Théophile d'Antioche, Trois Livres à Autolycus, I, 4. 
Frédéric Chapot, Les apologistes grecs et la création du monde, dans Les apologistes chrétiens et la culture grecque, sous la direction Bernard Pouderon et Joseph Doré, édition Beauchesne, 1998.

mercredi 18 juillet 2012

Face à l'opposition païenne

La conception chrétienne de la Création a été très tôt attaquée. Les païens grecques se sont ainsi opposés aux chrétiens sur cette question. Selon le philosophe antichrétien Louis Rougier, l'idée d'une création « ex-nihilo » était pour eux irrecevable car « l'éternité du monde et sa nécessité furent un dogme de l'hellénisme » (1). La conception grecque de l'univers est, rajoute-t-il, cyclique. Tout se déroule selon un cercle. « Les choses roulent sempiternellement dans le même cercle, d'où il est nécessaire que, suivant l'ordre immuable des cycles, ce qui a été, ce qui est, ce qui sera soit toujours de même » (2). Louis Rougier fait appel à Aristote et à Proclus, philosophe du VIème siècle. 

Néoplatonicien, Proclus justifie l'éternité du monde par celle de la bonté divine. En effet, sa bonté se manifeste dans sa création et comme Dieu a toujours été bon, celle-ci a donc toujours existé. De plus, étant immuable, Dieu ne peut pas souffrir de changement. Or, sa décision de créer aurait entraîné un changement en Lui, un passage de puissance à acte, ce qui est donc incompatible avec sa nature. Enfin, si le monde a commencé, il y aurait eu un temps sans le monde. Or, selon les grecs, le temps n'existe que par les révolutions des sphères célestes qu'il mesure. Donc il y aurait un temps où le temps ne serait pas. 

En outre, Louis Rougier voit dans la création une insulte à l'idée de Dieu, considéré comme le suprême ordonnateur des choses. Il souligne l'harmonie de monde et l'ordre du cosmos. Selon Julien l'Apostat, « un être qui n'est susceptible ni d'augmentation ni de diminution, et qui est soustrait à toute variation et à tout devenir, ne saurait avoir d'origine et de fin » (3). Accepter un commencement, cela revient donc à renverser la preuve de l'existence de Dieu tirée de la stabilité du système du monde. Or, selon Louis Rougier, cette stabilité ordonnée est « la condition de l'intelligibilité du monde et de la possibilité de la science » (4). Nous pouvons comprendre en quoi la conception chrétienne de la Création s'oppose à l'idée grecque d'un monde éternel et cyclique. 

Louis Rougier ose rajouter que l'idée grecque est conforme au principe de la conservation d'énergie : « rien ne se crée, rien ne se perd ». Nous trouvons souvent cet argument pour rejeter toute possibilité de création dans l'univers. Permettez nous de rappeler que toute théorie est définie selon des hypothèses sans lesquelles elle n'est plus vraie. Le principe évoqué n'est valable que dans un système fermé. L'univers, est-il un système fermé ? Le croire revient immédiatement à croire aussi à l'éternité du monde. Louis Rougier en vient alors à affirmer que la conception chrétienne est un obstacle à la science ! Il va plus loin encore puisqu'il considère qu'en « dogmatisant » sa conception, l'Église a conduit inévitablement au conflit entre la foi et la raison. Mais, il oublie vite que la conception grecque n'était pas une simple hypothèse mais bien considérée comme une vérité indiscutable, un véritable « dogme ». Nous sommes bien loin de la science ! C'est pourquoi les grecs considéraient les chrétiens comme des blasphémateurs. « Si donc quelqu'un croit faire preuve de piété envers la cause de Tout, en disant qu'elle seule est éternelle, il blasphème grandement » (5). Et pourtant, cela ne leur a pas empêché de faire développer les sciences ! 

Ignorons la mauvaise foi de notre polémiste et retenons simplement de ces propos que l'idée d'une création « ex-nihilo » est propre au christianisme et s'oppose radicalement à la conception grecque. Nous sommes encore loin d'un certain syncrétisme ou d'une évolution de la pensée religieuse. Les attaques des païens antichrétiens montrent toute la spécificité du christianisme. Cette originalité est source de difficultés. Les premiers défenseurs de la foi ont été aussi influencés par la pensée grecque. Il est intéressant de voir comment ils ont vécu cette contradiction. 

Références
Louis Rougier, Celse contre les Chrétiens, Chap. II, III, Copernic, 1977 
Celse, Discours vrai, cité par Louis Rougier,Celse contre les Chrétiens. 
Saint Augustin, Contre Julien, II, 8. 
Louis Rougier, Celse contre les Chrétiens, Chap. II, III. 
Proclus, cité Louis Rougier, Celse contre les Chrétiens.

lundi 16 juillet 2012

La Création vue par les Pères de l'Eglise

A partir du IIème siècle, les Pères de l'Église ont très tôt abordé l'œuvre de la Création, sous le regard de la philosophie et de la Sainte Écriture. Rapidement en effet, la question de la Création est devenue centrale tant la conception chrétienne manifestait une originalité dans le monde gréco-romain. Cette spécificité montre, d'une belle manière, combien les théories affirmant le christianisme comme une évolution ou un syncrétisme sont bien erronées. En dépit de quelques différences d'interprétations et d'opinions, les Pères de l'Église nous donnent la lumière de la Tradition, indispensable pour lire la Sainte Écriture. S'ils divergent parfois, ils nous enseignent, par leur unanimité, les doctrines auxquelles nous devons adhérer. Le présent article décrit brièvement leur enseignement et leurs divergences. 

Pourquoi ont-ils abordé l'œuvre de la Création ? Les Pères de l'Église ont dû défendre la foi et donc l'exposer pour s'opposer aux critiques des païens et aux erreurs des hérétiques (marcionisme, gnosticisme, manichéisme). Très tôt, en effet, l'idée de la Création était soit combattue par les païens, soit déformée par les hérésies. L'influence des philosophies grecques et du judaïsme hellénique pouvaient aussi entraîner des confusions et des malentendus. Rapidement, la doctrine et le vocabulaire devaient être précisés et clarifiés. En outre, étant souvent des Évêques, ils avaient un rôle d'apostolat et d'enseignement à l'égard de leurs fidèles. La plupart ont commenté la Genèse dans des sermons au cours de la Semaine Sainte, dans le cadre de la catéchèse baptismale. Enfin, n'oublions pas l'expérience personnelle de certains Pères qui, lors de leur conversion, ont voulu comprendre l'œuvre de la Création. Saint Augustin est un de ces convertis, particulièrement préoccupés par cette question centrale de notre foi. « Fais que j'entende et comprenne comment dans le Principe, tu as fait le ciel et la terre » (1)

Le temps semble nous faire oublier un fait indubitable et pourtant si capitale : la spécificité de la doctrine chrétienne de la Création ! Certes, elle est présente dans l'Ancien Testament comme elle traverse le judaïsme, mais elle est pleinement saisie et connue dans le christianisme. Que nous enseignent donc les Pères de l'Église ? 

Comme Saint Clément de Rome, les Pères de l’Église distinguent dans l'œuvre de la Création l'action proprement dite de créer, œuvre de sa toute puissance et de sa volonté, et l'ordonnancement du monde, œuvre de sa sagesse. « C'est ainsi que débute l'enseignement de l'Écriture Sainte : comment a été créée, est née de Dieu une matière avec laquelle Dieu a fait et réalisé le monde » (2)



Face aux païens et aux hérétiques, ils ont tous affirmé que Dieu est le seul Créateur de l'univers. Dieu a tout créé à partir de rien au sens de « ex nihilo ». Si cet enseignement semble d'abord manquer de précision (3), il devient clair Théophile d'Antioche et Saint Irénée. « La puissance de Dieu se montre précisément quand il part du néant pour faire tout ce qu'Il veut » (4). Ils rejettent donc l'éternité de la matière et l'action de démiurges. « Il n'y a qu'un seul Dieu, à savoir le Créateur, et qu'il n'y a rien qui soit au-dessus de lui ou après lui » (5)


Tout a donc pour origine Dieu. « Il tira toutes choses du néant » (6). Mais, précisent-ils, les êtres ne sont ni l'émanation, ni le prolongement de Dieu. Il y a bien distinction entre Dieu immuable et ses créatures changeantes. « Arrivons donc, ô roi, aux éléments eux-mêmes, afin de démontrer qu'ils ne sons pas des dieux, mais qu'ils sont corruptibles et altérables, tirés du néant par le commandement du vrai Dieu qui est incorruptible, immuable et invisible » (7). Ils insistent aussi sur la notion du temps. Dieu est bien hors du temps. Le temps naît avec le monde... 

Face aux gnostiques, les Pères de l'Église rappellent l'unité de Dieu Créateur et Sauveur. Le Créateur et le Sauveur sont le même Dieu. Cela implique donc un lien entre la Création et la Rédemption. Ce n'est pas un hasard si les commentaires de la Genèse ont lieu durant la Semaine Sainte. Durant la nuit pascale, la liturgie reprend aussi les belles pages de la Création. La Rédemption ne peut être en effet comprise sans la Création. La Création doit donc être vue selon le plan divin qui s'achève par la Rédemption. Il y a bien continuité... 


Les Pères de l'Église resitue l'œuvre de la Création par rapport au Verbe et dans une dimension trinitaire. « Si le Créateur, par lui-même, librement et de sa propre initiative, a fait et ordonné toutes choses […], alors Celui qui a fait toutes choses se trouve être le seul Dieu, le seul Tout-Puissant et le seul Père. Il a créé et fait toutes choses […] par le Verbe de sa puissance et il a ordonné toutes choses par sa Sagesse. […] Il a fait toutes choses par lui-même, c'est-à-dire par son Verbe et sa Sagesse » (8)



Dans l'activité divine, les Pères attribuent à chacune des Personnes divines un rôle particulier sans désunir la Trinité. Saint Justin attribue traditionnellement le premier moment de la Création à Dieu le Père comme l'enseigne aussi le Concile de Nicée (325). Par la médiation du Verbe, tout a été créé, rappelle Saint Athanase. « Puisque le monde a été produit avec raison, sagesse et science, et qu'il a été orné de toute beauté, il faut que celui qui y préside et l'a organisé ne soit autre que le Verbe de Dieu […]. Étant le Verbe bon d'un Dieu bon, c'est Lui qui a disposé l'ordre de toute chose » (9). L'ordonnancement du monde est souvent attribué à Dieu le Fils. Saint Athanase et Cappadociens soulignent aussi le rôle créateur du Saint Esprit, conjointement avec le Père et le Fils, tout en différenciant ses fonctions de celles des deux personnes divines. Selon Saint Basile, le Père est la cause principale de la Création, le Fils, la cause qui la réalise, le Saint Esprit en est la cause qui la mène à la perfection. 

L'action créatrice du Père s'effectue par l'intermédiaire du Fils et par le Saint Esprit. Saint Irénée affirme que la création est une initiative du Père par ses deux mains, le Fils et le Saint Esprit. Il montre qu'il n'y a qu'un Dieu de qui tout tient son origine. « Dieu n'a nul besoin de quoi que ce soit ; mais c'est par son Verbe et son esprit qu'il fait tout, dispose tout, gouverne tout, donne l'être à tout » (10). La Création est bien l'œuvre de la Sainte Trinité. 

Quel est le motif de la Création, selon les Pères de l’Église ? Ils soulignent la liberté de Dieu. Il « crée tout ce qu'Il veut, à la façon dont Il veut » (11). Il « a fait toutes choses, librement et en toute indépendance » (12). Dieu crée, non pas en raison d'une quelconque nécessité, mais par pure bonté. Elle manifeste ainsi la surabondance de l'amour et la volonté libre de Dieu. « Il y a en effet en Dieu une bénignité souveraine, sainte, juste, ainsi qu'un amour pour ses œuvres qui ne procèdent pas de l'indigence, mais de la bienfaisance »(13)

Les Pères de l'Église sont unanimes à voir le monde comme un livre ouvert sur Dieu, accessible à tous. Nous pouvons connaître, par l'œuvre divine, Celui qui a créé le ciel et la terre. L'univers manifeste la puissance, la sagesse et la bonté de Dieu. La contemplation de la Création nous conduit donc vers son Auteur. « Quand vous élevez donc vos regards vers les cieux et que vous en contemplez la magnificence, l'étendue et la beauté, remontez jusqu'au Créateur » (14)

La contemplation produit louanges et actions de grâces. « Le ciel est beau, mais c'est afin que tu te prosternes devant celui qui l'a fait ; le soleil est brillant, mais c'est enfin que tu adores son auteur ; si tu dois t'arrêter à l'admiration de la création et t'en tenir à la beauté des œuvres, la lumière est devenue pour toi obscurité, ou plutôt tu t'es servi de la lumière pour la changer en obscurité » (15)

Il y a bien distinction entre Dieu et sa Création. Il ne peut y avoir confusion, encore moins de l'idolâtrie, qui est une folie. « Enseignons à ne pas confondre l'ordre des choses et à ne pas abandonner le Créateur pour adorer les objets créés, qui existent en vue de notre salut et de notre utilité » (16). Il s'agit de dépasser le sensible pour accéder à l'invisible. 

Les Pères nous enseignent donc sur la finalité ultime de la contemplation de l'Univers, phase essentielle mais transitoire de la connaissance de Dieu. Ils en viennent alors à traiter de l'Incarnation, inévitablement liée à la Création. Nous revenons de nouveau à l'œuvre du salut. « Qui est donc celui qui va être créé, pour bénéficier d'un si grand honneur ? C'est l'homme, l'être vivant grand et admirable, qui, aux yeux de Dieu, est digne de plus d'honneur que la création toute entière : c'est pour lui que le ciel, la terre, la mer et tout le reste de l'ensemble de la création ont été créé ; l'homme dont Dieu a tellement désiré le salut que pour lui, il n'a même pas épargné son Fils unique » (17). L'homme est au centre de la Création. Elle n'a aucun sens sans cette dimension anthropologique.

Par leur unanimité, les Pères de l'Église nous donnent les éléments essentiels à connaître et à croire. Ils nous éclairent sur la connaissance de Dieu, sa toute-puissance, sa sagesse et sa bonté, que nous pouvons percevoir en contemplant la Création. Mais, ils ont aussi présenté quelques divergences, notamment sur les modalités de la Création. 


Cette divergence s'explique d'abord par leur volonté d'interpréter la Genèse selon leurs connaissances scientifiques. La plupart d'entre eux recherchent en effet à montrer la conformité de la Révélation avec les connaissances scientifiques de leur époque, une science évidemment très limitée et défectueuse. Dans ce cas, livrés à eux-mêmes, ils émettent des opinions qui n'entrent pas dans la Révélation et ne remettent pas en cause l'enseignement de l'Église. Ensuite, leur exégèse est liée à la tradition exégétique à laquelle ils appartiennent. Le sens allégorique ou littéraire est plus ou moins accentué, voire exagéré. L'école d'Alexandrie a tendance à privilégier le sens allégorique des Saintes Écritures contrairement à l'école d'Antioche qui défend le sens littéral. Les Pères Cappadociens parviennent à un certain équilibre dans leurs interprétations. Les Pères occidentaux sont influencés par ces Écoles et en élaborent une véritable synthèse. 

Les Pères divergent essentiellement sur la notion temporelle de la Création. Ils se regroupent globalement en deux camps. Les uns croient en une création simultanée de l'univers (Alexandrie) : Dieu a tout créé en un instant ; les autres (Antioche) en une création progressive et graduée de l'univers. De ces deux conceptions, Saint Augustin parvient à en faire une synthèse, la plus aboutie. La difficulté provient de l'interprétation du terme « jour » de la Genèse. 

Chez les partisans de la création simultanée, le terme « jour » ne correspond pas à une succession réelle du temps. L'auteur inspiré aurait cherché à s'accommoder à l'intelligence de ses contemporains et à notre façon de concevoir les choses. Il aurait voulu exprimer la gradation des êtres qui composent l'univers et non des durées. Ils insistent aussi sur la toute puissance de Dieu... 

Dans l'autre conception, le terme « jour » est interprété comme une véritable durée, soit fixe, soit indéterminée. Dieu aurait créé la matière première puis l'aurait façonnée et mise en œuvre pendant les six jours. Dieu est ainsi vu comme un grand architecte qui élève un vaste édifice. La sagesse de Dieu est davantage mise en valeur. 

Selon les Cappadociens, Dieu aurait créé tous les éléments nécessaires à la création de l'univers puis fait successivement apparaître les êtres. La distinction des jours est un moyen pour l'auteur inspiré de mettre de l'ordre dans son récit. Selon Saint Grégoire de Nysse, dans la première phase, Dieu aurait créé en un instant les causes de tous les principes, de toutes les forces, finalement les germes de toutes la production. 

Les Pères occidentaux sont partagées entre ces conceptions. Saint Hilaire semble partager les idées de l'école d'Alexandrie. Saint Ambroise se sert beaucoup de Saint Basile et cherche l'équilibre entre les différents sens. 

Saint Augustin traite de la Création, hors de tout catéchèse, soit pour répondre aux hérétiques, soit pour des raisons personnelles. Il recherche soit à comprendre la Création en elle-même, soit à en préciser la signification dans l'histoire du salut. Il parvient finalement à une synthèse solide. Selon Saint Augustin, tout est créé « ex nihilo » en même temps, « in principio », dans le Verbe. Il privilégie la création simultanée mais la création ne s'en développe pas moins dans le temps. Il admet la distinction des jours, qui pourraient correspondre à un espace de temps inconnu. Il distingue donc l'« opus creatione », l'œuvre créatrice, et l'« opus formatione », graduel et progressif, conforme aux lois de la nature. Il introduit la notion de « lois naturelles » ou encore de « raisons causales ». Les êtres non organiques ont été créés tel quels, les êtres organiques, à l'exception de l'homme, ont été créés en germes et se sont développés dans le temps conformément aux lois naturelles. L'homme est créé de manière spécifique... 

Les Pères de l’Église ont enrichi, précisé, clarifié la conception de la Création sous la lumière de la foi. S'ils présentent des divergences dans leur enseignement, ils demeurent néanmoins unanimes sur les points essentiels, notamment les dimensions trinitaire et anthropologique de la Création. 

Ils nous rappellent aussi que l'œuvre de la Création demeure profondément un mystère. Certes, nous pouvons l'éclairer par la science, le justifier par la raison, mais il reste un mystère devant lequel nous ne pouvons que nous incliner. Ainsi, faut-il être prudent et ne pas chercher dans la Sainte Écriture toutes les réponses à nos questions. « En parlant de même à propos de l'origine de la matière, c'est-à-dire en disant que c'est Dieu qui l'a produite, nous ne nous tromperons pas non plus, car nous savons par l'Écriture que Dieu détient la primauté sur toutes choses. Mais d'où l'a-t-il émise, et comment ? Cela, aucune Écriture ne l'explique, et nous n'avons pas le droit de nous lancer, à partir de nos propres opinions, dans une conjectures sur Dieu : une telle connaissance doit être réservée à Dieu » (18). Est-ce vraiment utile de connaître les détails de la Création ? « Tout ce qui est sans importance pour nous, il [Moïse] l'a passé sous silence comme inutile » (19). Sachons contempler la Création pour reconnaître et glorifier son auteur. « Ne cherchons donc pas à raisonner curieusement sur les œuvres de Dieu, mais que ces œuvres nous servent à nous faire admirer leur auteur » (20)


Références
Saint Augustin (354-430), Les Confessions, XI, 3, 5. 
Saint Théophile d'Antioche (mort en 183 ou 185), Trois livres à Autolycos, livre II, 10, cité dans Connaissance des Pères de l'Église, La Création, éditions Nouvelle Cité, 2001.  
Voir article « La Création ex-nihilo contestée », qui sera prochainement publié 
Saint Théophile d'Antioche, Trois livres à Autolycos, livre II, 20. 
Saint Irénée (v.130-202), Contre les Hérésies, II, 11, 1. 
Saint Jean Chrysostome, Sermon sur la Génèse, III, 2. 
Aristide (mort vers 134), Apologie, IV, 1, œuvre numérisée par Marc Szwajcer sur le site http://remacle.org.
Saint Irénée, Contre les Hérésies, II, 30, 9. 
Saint Athanase (vers 298-373), Contre les païens, 40. 
10 Saint Irénée, Contre les Hérésies, I. 22, 1.
11 Saint Théophile d'Antioche, Trois livres à Autolycus, II, 4. 
12 Saint Irénée, Contre les Hérésies, IV, 20, 1.
13  Saint Augustin, La Genèse au sens littéral, I, 5, 11. 
14 Sainte Jean Chrysostome (entre 344 et 349, 407), Sermon sur la Génèse, IV, 5.
15 Saint Jean Chrysostome, Sermon sur la Génèse, I, 1. 
16 Saint Jean Chrysostome, Homélie sur la Genèse, VI, 6.
17 Saint Jean Chrysostome, Sermon sur la Génèse, II, 1.
18 Saint Irénée, Contre les Hérésies, II, 28, 7. 
19 Saint Basile (329-379), Homélie sur la Genèse, IX, 1.
20 Saint Jean Chrysostome, Homélie sur la Genèse, II, 2.

dimanche 15 juillet 2012

La Création selon les Pères apostoliques

Au début du christianisme, l'idée de la Création ne semble pas avoir fait l'objet d'un développement particulier. Les Pères apostoliques ne s'attardent guère sur le sujet. Leur enseignement ne demeure pas moins instructif... 

Saint Clément de Rome est le troisième successeur de Saint Pierre sur le siège de Rome. Il a écrit une lettre à l'Église de Corinthe qui date des dernières années du Ier siècle. Elle est considérée comme le texte le plus ancien de la littérature chrétienne non canonique. Une deuxième lettre, traditionnellement attribuée à Saint Clément de Rome, serait un apocryphe du début du IIème siècle. 

Saint Clément distingue dans la Création deux actes qui manifestent successivement sa puissance et son intelligence : « par sa toute-puissance souveraine, il a affermi les cieux, et son incompréhensible intelligence en a exécuté l'ornement » (1). Il est émerveillé de l'harmonie du monde, fruit de la toute-puissance de Dieu. L'homme est « la plus digne de ses œuvres, car elle est douée d'intelligence, c'est l'homme qu'il a façonné de ses mains saintes et pures ; il en fait l'empreinte de sa propre image » (2). L'homme est le point culminant de tout l'œuvre créée. 

Saint Clément souligne la bonté de Dieu envers ses créatures, spécialement envers l'homme. « Le souverain maître et créateur de l'univers a voulu que régnât la paix avec la concorde, car il désire le bien de toutes ses créatures et se montre surabondamment généreux envers nous qui avons recours à ses miséricordes par notre Seigneur Jésus-Christ » (3). Il y a similitude entre la création et le salut. « Il a eu miséricorde de nous, ses entrailles se sont émues et il nous a sauvés, ayant vu notre égarement et notre ruine,; et que nous n'avions d'espérance qu'en lui pour notre salut. Il nous a appelés quand nous n'étions pas ; c'est son libre vouloir qui nous a fait passer du néant à l'être » (4). Le païen est comme s'il n'était pas. Quand il devient chrétien, il passe du néant à l'existence. Le baptême est une deuxième création (5)

Le Pasteur d'Hermas est sans-doute aussi un des plus anciens monument littéraire de l'antiquité chrétienne. Hermas se donne lui-même pour un contemporain de Saint Clément de Rome. Il définit clairement la doctrine de la Création « ex-nihilo » : « premier point entre tous : crois qu'il n'y a qu'un seul Dieu, celui qui a tout créé et organisé (Ep., III, 9), qui a tout fait passer du néant à l'être ( II, Macch., VII, 28, Sag. I, 14) » (6). L'idée de la création « ex-nihilo » est répétée dans un autre passage. Elle est considérée comme une vérité fondamentale


1. Saint Clément de Rome, Épître aux Corinthiens, XXXIII, 3. 
2. Saint Clément de Rome, Épître aux Corinthiens, XXXIII, 4. 
3. Saint Clément de Rome, Épître aux Corinthiens, XX, 11. 
4. Saint Clément de Rome, 2ème Épître aux Corinthiens, I, 6-7. 
5. Épître de Barnabé (IIème siècle : entre 70 et 132).
6. Le Pasteur d'Hermas, Précepte I, 1.

vendredi 13 juillet 2012

La Création selon les Saintes Ecritures

« Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre » (Gen., I, 1). Ainsi commence la Sainte Bible. Le premier chapitre renferment dans une précision et une clarté extraordinaire tout le socle sur lequel est bâtie notre religion. La Rédemption, l'autre mystère de notre foi, ne serait rien sans la Création, sans ce commencement. Toute notre vision de la vie repose sur les quelques lignes qui ouvrent la Sainte Écriture et nous ouvrent les portes de la Révélation. S'attaquer à ce mystère revient inévitablement à s'opposer à notre religion et à l'ensemble des vérités de la foi. Croire que notre foi peut demeurer intacte en refusant d'adhérer à ce mystère ou en le modifiant à son gré est probablement une des plus graves erreurs de notre siècle. 

La Sainte Écriture pose d'emblée une réalité, celle de Dieu. L'existence de Dieu est supposée connue. Des « érudits » peuvent s'étonner que sa version hébreu ne parle pas de Dieu, mais d' « Elohim ». Ils en conclut alors toute la fausseté de nos dogmes. Cet article n'a pas pour but de traiter des noms de Dieu. Allons donc à l'essentiel. Le terme d' « Elohim » signifie l'être devant lequel on tremble, l'être souverainement redoutable. Dans la Sainte Bible, ce nom désigne effectivement Dieu. « Yahvé » est l'autre nom qui se rapporte à Dieu, mais en relation avec l'homme. Précisons aussi qu' « Elohim » est le pluriel d'Eloah alors que le verbe utilisé est au singulier. Certains Pères de l'Église ont vu dans ce pluriel une allusion à la Sainte Trinité. Mais, il peut aussi désigner un pluriel de majesté... 

La Sainte Écriture nous présente Dieu agissant, en-dehors et au-dessus du monde. Dieu n'apparaît pas comme un concept intellectuel. L'action divine a pour conséquence première d'introduire un « commencement », donc le temps. Avant l'acte, il n'y a point de temps. Hors du temps, Dieu crée donc le ciel et la terre, c'est-à-dire l'univers. Il crée en conséquence l'espace. Par cet acte, s'établit enfin une distinction forte entre un Créateur, qui est Dieu, et la créature. Cette dernière se distingue par un commencement... 

Comment Dieu agit-il ? Dans le premier verset, la Sainte Bible en hébreu utilise le terme « bara », verbe rarement employé. Il a la particularité de n'avoir pour sujet que Dieu. Il indique donc une action exclusivement divine. Le sens est plus fort que « creare » ou « poiew » (« faire »), employé dans les Septantes

Pour désigner qu'une action s'exerce sur une matière pré-existante, l'hébreu emploie plutôt le verbe « béré », avec un complément qui désigne la matière sur lequel s'exerce le travail, alors que le verbe « bara », utilisé dans la Sainte Écriture, est suivi du résultat de l'action accomplie. Peut-être, pouvons-nous penser à une création « ex-nihilo » ? Il faut en fait attendre le dernier livre de l'Ancien Testament pour que cette vérité soit explicite. Le Livre des Macchabées raconte les persécutions des rois Séleucides contre les Juifs, au IIème av. J.C., et notamment le martyre des frères Macchabées. Leur mère professe une foi claire en la création « ex-nihilo » : « je te conjure, mon enfant, de regarder le ciel et la terre et toutes les choses qui y sont ; et de comprendre que de rien Dieu a fait toutes choses » (II. Macch.,VII,28). C'est la première foi qu'est utilisé clairement le terme de création « ex-nihilo ». Dieu a créé toute chose à partir de rien. Et rien n'existe à côté de Dieu avant la création. Il n'y a pas d'autre Créateur que Dieu. Il « a donné l'origine à toute chose » (II. Macch., VII, 23)... 

« Dieu dit : que la lumière soit. Et la lumière fut » (Gen., I, 3). Par la parole, qui exprime une volonté, le monde a été créé. Dieu a créé le monde sans effort, par sa toute-puissance, par sa seule volonté. La Création n'est donc pas le fruit du hasard mais bien d'une intention. « Lui-même a dit, et les choses ont été faites ; lui-même a commandé et elles ont été créées » (Ps. CXLVIII, 5). La création est le produit d'un acte de la volonté de Dieu. « Toutes les choses qu'Il a voulues, Il les a faites » (Ps., CXV, 3). 

L’œuvre de la Création suit un ordre bien précis : matière, lumière, firmament, eau, terre, mers, végétaux, animaux et homme. Nous pouvons longtemps gloser sur ces termes et sur leurs significations. Nous ne sommes pas assez compétents pour cela. Laissons cette étude aux exégètes. Mais, poursuivons notre récit pour en dégager l'essentiel. Quand nous abordons les êtres vivants, une expression revient souvent : « selon leur espèce ». Dieu crée en effet les êtres vivants selon leur espèce, donc selon une classification, qui est un acte intellectuel. Toute l'œuvre de la Création reflète finalement un ordre, et donc une intelligence. Aujourd'hui encore, nous pouvons contempler l'harmonie de l'univers. « Vous avez disposé toutes choses avec mesure et nombre et poids » (Sag., XI, 21). 

« Que la terre produise de l'herbe verdoyante, et faisant de la semence, et des arbres fruitiers, faisant du fruit selon leur espèce, dont la semence soit en eux-mêmes sur la terre » (Gen., I, 11). Dieu met en place les causes secondes permettant aux plantes de se reproduire. Il crée le règne végétal. Pour le règne animal (poissons, oiseaux), et pour la première fois, il bénit ce qu'Il vient de créer, disant : « croissez et multipliez-vous, et remplissez les eaux de la mer ; et que les oiseaux se multiplient sur la terre » (Gen., I, 22). Alors que la plante peut posséder en elle-même la faculté de se reproduire, ce n'est pas le cas pour les animaux. Selon les Pères de l'Église, la bénédiction renferme cette action vivifiante que nécessite la reproduction. Puis dans une même phase, le sixième jour, apparaissent les animaux terrestres et enfin l'homme... 

Quand arrive la création de l'homme, le style change subitement. Pour les autres créatures, Dieu parle à l'être qui doit paraître ou à l'élément d'où il doit sortir. Avant de créer l'homme, Dieu se parle à Lui-même. C'est une décision prise intérieurement, qui précède l'exécution : « faisons un homme à notre image et à notre ressemblance » (Gen., I, 26). Les Pères de l'Église ont vu dans ce pluriel un nouvel indice de la Sainte Trinité... 

C'est un moment solennelle comme l'indique le style. « Et Dieu créa l'homme à son image ; c'est à l'image de Dieu qu'il le créa : il les créa mal et femelle » (Gen., I, 28). La répétition du terme « créa » n'est pas simplement un effet de style. Elle reflète une intention particulière de l'écrivain sacré. Ce verset souligne en outre la création de deux personnalités distinctes, pourtant unies. Nous en déduisons l'unité du genre humain... 

L'homme reçoit une bénédiction, qui, contrairement aux premiers animaux, ne concerne pas uniquement la fécondité. Il bénit en effet une chose qui lui est propre : la souveraineté sur toute la terre et sur tous ses habitants. Dieu donne en effet à l'homme le pouvoir de dominer sur toutes les créatures : « croissez et multipliez-vous ; remplissez la terre, et assujettissez-la, et dominez sur les poissons de la mer, sur les volatiles du ciel et sur tous les animaux qui se meuvent sur la terre » (Gen., I, 28). Dans l'œuvre de la Création, l'homme a une situation et un rôle privilégiés

Après chaque étape de la Création, la Sainte Écriture précise que Dieu est satisfait de son œuvre. Ce qui a été créé lui apparaît bon. Quand Il finit son œuvre, « Dieu vit toutes les choses qu'Il avait faites, et elles étaient très bonnes » (Gen., I, 31). Dieu marque ainsi un temps d'arrêt et exprime sa satisfaction, non seulement pour chaque étape de la Création mais aussi pour l'ensemble. Son œuvre est conforme à sa pensée. Le terme hébreu, « tov mehod », est plus explicite. Il signifie bon et beau. Ce que Dieu créé est parfait au sens d'achever. Il ne manque rien au monde ainsi créé. Il n'y a donc pas besoin d'améliorer ce que Dieu vient de créer. L'idée de progrès nous paraît donc inconcevable. 

L'œuvre de la création est racontée selon un plan structuré, ordonné, dans le cadre de six jours. Le terme « yôm », ou « jour », « peut être entendu soit au sens propre du jour naturel, soit dans un sens impropre pour une certaine espace de temps » (1). Ce terme est le plus concret, le plus facilement intelligible pour désigner des périodes différentes et successives. Au septième jour, Dieu se repose. « Et Dieu eut accompli son œuvre le septième jour ; et il se reposa le septième jour de tous les ouvrages qu'il avait faits » (Gen., II, 2). L'œuvre de la Création est terminée. Il n'y a plus de nouvelle création à proprement parler. Désormais, les causes secondes vont agir dans le temps selon les lois que Dieu a posées. 

Cela ne signifie pas que Dieu n'agit plus comme s'Il ne se préoccupait plus de son œuvre. Les choses, « Il les a établies à jamais, et pour les siècles des siècles, Il leur a donné une loi et elle ne passera pas » (Ps., CXLVIII, 6). La Création perdure sous la protection de son Créateur. Elle n'est livrée ni à l'anarchie, ni au chaos. Dieu pense même aux passereaux : « pas un d'eux ne peut tomber sur la terre sans la permission de votre Père » (Matth., X, 26). Ajoutons que contrairement aux autres jours, le septième ne contient pas de soir. Il ne finit pas... 





Décision de la commission biblique, 30 juin 1909

lundi 9 juillet 2012

Je crois en Dieu le Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre ...

Avant toute chose, rappelons ce que l'Église nous enseigne sur l'œuvre de la Création ... 

Dieu est l'unique créateur de tous les êtres du ciel et de la terre, tel est notre credo... « Nous croyons en un seul Dieu, Père tout-puissant, créateur de tous les êtres visibles et invisibles » (1)

Le Créateur du ciel et de la terre est bien Dieu, la Sainte Trinité, Un en Trois Personnes. « Nous croyons en l'unique vrai Dieu, le Père, le Fils et l'Esprit Saint, le créateur des choses visibles et invisibles, par qui tout a été fait au ciel et sur la terre » (2). La création est une œuvre trinitaire, propre aux Trois Personnes  selon leur ordre intime, les unes avec les autres. « Je crois fermement […] que la Sainte Trinité, le Père, le Fils et l'Esprit Saint, est un seul Dieu tout-puissant […] : créateur de toutes les créatures, de qui, par qui, en qui sont toutes choses (Rom., XI, 36), celles qui sont dans le ciel et celles qui sont sur la terre, les choses visibles et invisibles » (3). De Dieu le Père, par Dieu le Fils, et en Dieu le Saint Esprit, sont toutes choses (4). « Il n'y a qu'un seul Dieu, de qui sont toutes choses, un seul seigneur Jésus-Christ, par qui sont toutes choses, un seul Esprit Saint, en qui sont toutes choses » (5)

Dieu est distinct de ses créatures. A Dieu seul sont attribuées l'éternité et l'immutabilité, par opposition aux créatures qui sont temporelles et changeantes. « La Sainte Église catholique apostolique romaine croit et professe qu'il y a un seul Dieu vrai et vivant, créateur et seigneur du ciel et de la terre […] vu qu'il est une substance spirituelle, unique et singulière, absolument simple et immuable, il faut affirmer qu'il est distinct du monde en réalité et par essence » (6)

Dieu a appelé le monde à l'existence en le tirant du néant. C'est une création « ex-nihilo ». « Nous croyons fermement et confessons avec simplicité qu'il y a un seul et unique vrai Dieu […]. Unique principe de toutes choses, créateur de toutes les choses visibles et invisibles, spirituelles et corporelles, qui, par sa force toute-puissante, a tout ensemble créé de rien dès le commencement du temps l'une et l'autre créature, la spirituelle et la corporelle, c'est-à-dire les anges et le monde » (7)


Dieu a créé avec pleine liberté parce qu'Il voulait, par pure bonté et par sa volonté toute puissante. Il ne fut ni forcé, ni intérieurement, ni extérieurement. « Le seul vrai Dieu, par sa bonté et sa toute-puissance, non pas pour augmenter sa béatitude, ni pour acquérir sa pleine perfection, mais pour manifester celle-ci par les biens qu'il accorde à ses créatures, a, dans le plus libre des desseins » (8) créé les anges et le monde. La Sainte Église romaine « croit très fermement, professe et prêche que le seul vrai Dieu, Père, Fils et le Saint Esprit, est le créateur de toutes choses visibles et invisibles, qui, quand Il l'a voulu, a créé par bonté toutes les créatures tant spirituelles que corporelles, bonnes assurément parce qu'elles ont été faites par le Souverain Bien, mais muables, parce qu'elles ont été faites à partir du néant » (9)

« En dehors de cette unique divinité, consubstantielle, éternelle et immuable de la très Sainte Trinité, il n'est absolument rien parmi les créatures qu'il n'ait été créé de rien à son commencement » (10)


Références
Profession de foi, Concile de Nicée, 19 juin 325. 
Symbole de Tolède, 1er Concile de Tolède, septembre 400, denz.188.
Léon X (1475-1521), Lettre congratulamur vehementer, à Pierre, patriarche d'Antioche, 13 avril 1053, profession de foi, denz.680.
Léon XIII (1810-1903), Divinum illud munus, du 9 mai 1897.
II Concile de Constantinople (553), denz. 421. 
Constitution dogmatique Dei Filius sur la foi catholique, chapitre I, 1er Concile de Vatican, 24 avril 1873, denz. 3001. 
4ème concile de Latran (11-12 novembre 1215), Chapitre I, La foi catholique, denz. 800. 
Constitution dogmatique Dei Filius sur la foi catholique, chapitre I, 1er Concile de Vatican, 24 avril 1873, denz. 3002. 
Bulle sur l'union avec les Coptes et les Éthiopiens, Cantate Domino, Concile de Florence, le 4 février 1442, denz.1333. 
10 Saint LéonLettre quam Laudabiliter à l'évêque Turribius d'Astorga, 21 juillet 447, can. 5.

jeudi 5 juillet 2012

N'ayons pas peur...

D'où vient l'Univers ? Comment la vie est-elle apparue sur la terre ? Qui sommes-nous ? Ces questions hantent l'homme depuis l'origine même de l'humanité. Mais aujourd'hui, la plupart de nos contemporains peuvent dormir tranquillement. Grâce aux programmes officiels de l'Éducation nationale, à la vulgarisation des sciences et aux médias, ils peuvent désormais répondre à ces questions existentielles. Ancrés dans leurs certitudes, ils peuvent en effet expliquer nos origines par la théorie du « big bang » puis par la théorie de l'évolution. Tout devient clair, limpide, simple. Mais, ont-ils un jour posé un regard critique sur ces théories qui leur semble être des vérités absolues, indiscutables, intangibles ? 

Et nous, chrétiens, n'avons-nous pas tendance à délaisser ces théories de peur de ne rien comprendre ou d'affronter des contradictions insurmontables ? Sans doute, nous ne sommes pas tous scientifiques pour traiter de telles questions, mais devons-nous pour cela les ignorer ? Car ces théories s'opposent à notre foi et notamment à l'idée que nous faisons de la nature et de ses origines. Elles engendrent des doutes, favorisent l'apostasie, empêchent des conversions. Quelles armes redoutables aux mains des antichrétiens ! 


Depuis deux mille ans, la conception chrétienne de la Création est attaquée. Ce n'est pas un hasard. Spécifique au christianisme, elle est le fondement de notre religion. La Rédemption n'a en effet aucun sens sans la Création. 



Nous savons aussi qu'il ne peut y avoir d'opposition entre la foi et la raison. L'idée de la Création enseignée par l'Église est raisonnable. Elle n'est ni inintelligible, ni irrationnelle. Les contradictions ne peuvent donc qu'être apparentes. 

Dans les articles de juillet-août, nous allons vous présenter :

-  la doctrine chrétienne, enseignée par l’Église, selon plusieurs axes (Magistère, Sainte Ecriture, Pères apostoliques, Pères de l'Eglise), qui se réconfortent et s'éclairent mutuellement. Cette méthode nous oblige à nous répéter souvent mais elle a l'avantage de souligner l'unanimité et la constance de cet enseignement ;

- l'évolutionnisme dans les différents courants historiques qui le composent pour en déduire son incompatibilité avec la foi, voire avec la raison. Nous traiterons un des arguments évolutionnistes les simples ;

- la doctrine chrétienne de l'inspiration, indispensable à connaître lorsque nous voulons aborder la Sainte Écriture. En la comparant avec la doctrine musulmane, elle a aussi l'avantage de montrer la différence de conception de la personnalité de Dieu entre le christianisme et l'islam... 

Bonne lecture... 

Deo gratias...